Samia : pour une Afrique au positif
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Samia JOHN a été, pendant de nombreuses années, présidente de l’association MOUSSO en Guadeloupe. Son engagement a été façonné par son parcours de vie, qui l’a menée à séjourner dans plusieurs pays d’Afrique. Dans cette association, elle s’est investie activement pour la promotion d’une vision authentique de ce continent. À travers un média local, elle s’est attachée à diffuser des images et des informations fidèles aux réalités africaines. En parallèle, elle a initié des actions culturelles sur le terrain, contribuant à l’enrichissement des connaissances et au dialogue interculturel. Elle nous partage l’aventure qu’elle a vécue avec MOUSSO.
Peux-tu nous présenter ton parcours ?
Je suis Guadeloupéenne, je suis née à Baie-Mahault. À l’état civil, mon nom colonial n’est pas Samia. Simplement dans mon parcours, j’ai eu besoin de changer de nom parce que j’ai des problèmes avec toutes ces choses qui nous ont été imposées.
Cela s’affirme vraiment à l’époque où je pars en région parisienne. En quelle année je me rappelle plus, j’étais jeune. Et c’est aussi mon contact avec l’Afrique. Ayant la peau très foncée, depuis très jeune, on m’a toujours associée à l’Afrique en faisant référence aux chivé gréné, etc. Quand je suis partie en région parisienne, forcément, je suis allée à la recherche des Africains. Surtout dans les foyers de travailleurs africains, j’ai côtoyé l’Afrique et j’ai voulu aller sur le Continent pour voir comment c’était réellement. Dans ma tête, c’était comme si l’Afrique était une planète à part. Donc, c’est dans cette quête que j’ai choisi le prénom Samia.
J’ai décidé que je m’appelais Samia parce que j’avais vraiment un problème avec le nom colonial. J’ai gardé le nom de famille parce qu’il ne faut pas se perdre. Mais, mon prénom à l’État-Civil, j’ai voulu m’en débarrasser. Un peu comme Malcolm X qui a gardé son prénom et a enlevé le nom de famille en le remplaçant par le X. Moi, c’est le prénom Simone que j’ai changé et j’ai choisi Samia. C’est un prénom oriental qui veut dire altière, fière, élégante, tout ce que tu veux de beau. J’ai considéré que ça me convenait parfaitement.
J’ai aussi un deuxième prénom que j’utilise. Les gens le connaissent peu en Guadeloupe. On me connaît plutôt pour Samia. Mais, j’ai un deuxième prénom qui est Sisima. Sisima, en langue Samo, pourrait être traduit par : « j’ai retrouvé mon honneur ». J’ai adopté ce deuxième prénom, parce que quand j’allais en Afrique, j’aimais discuter avec les anciens. Et une fois, je discutais avec une grand-mère Samo (les Samos, c’est un peuple du Burkina Faso). Je ne comprenais pas le Samo, mais il y avait quelqu’un à côté qui traduisait. Elle parlait, mais à chaque fois, il y a un Sisima qui revenait. À un moment donné, je lui ai dit :
— Pourquoi tu dis Sisima ? Ce mot me plaît.
Pour illustrer son propos, elle m’explique, par exemple, qu’une femme qui est mariée depuis plusieurs d’années et n’arrive pas à procréer, au moment où cette personne est complètement dans le désespoir, et qu’elle se dit je n’aurai plus d’enfant, elle tombe enceinte. Cet enfant-là, on l’appelle Sisima. Si on essaie de traduire en français, ça voudrait dire « J’ai retrouvé mon honneur ». Donc, je me suis dit : je vais m’appeler Si-si-ma. Voilà l’histoire de mes prénoms.
Quand tu es partie en région parisienne, était-ce pour tes études ?
C’était en partie pour une formation. Le parcours classique, j’ai aussi rompu avec, parce que j’avais des problèmes avec cette école. Non pas parce que je ne comprenais pas, mais il y avait tellement de questions auxquelles on ne m’apportait pas de réponses satisfaisantes. Au bout d’un moment, j’ai compris que lorsqu’on va à l’école, c’est avant tout pour gagner sa vie, pour trouver un travail, rien de plus. Alors, je suis sortie de ce système. Je suis partie pour une formation.
Comment, étant partie en région parisienne pour une formation, te retrouves-tu en Afrique ?
Pour mon tout premier voyage, j’ai fait Paris-Le Caire, Le Caire-Kigali, Kigali-Bujumbura. J’ai fait ce parcours par rapport à mon travail. À cette période, j’étais en plein divorce, et mon mari m’empoisonnait la vie. Je suis donc allée voir mon patron, qui m’a indiqué qu’une mutation rapide n’était pas possible. On s’entendait très bien, alors je lui ai dit qu’il fallait absolument me trouver un endroit où je vais pouvoir changer, où je pourrai partir loin, pour que ce mec, je ne le voie plus, que je disparaisse de sa vue. Il a réussi à m’intégrer à un groupe de techniciens qui partaient au Zaïre, à l’époque de Mobutu. Du coup, voilà, j’ai fait ce parcours.
J’ai fait Paris-Le Caire. Je ne suis pas sortie de l’aéroport, mais je suis passée par l’Égypte. Ensuite, nous avons fait escale à Kigali, puis nous sommes arrivés à Bujumbura, au Burundi. De là, nous avons pris un transport de la compagnie pour nous emmener dans le Kivu, à Bukavu, où je suis restée trois mois, le temps de disparaître de la région parisienne.
Là-bas, j’ai vécu une expérience extraordinaire qui m’a profondément marquée. Quand je suis arrivée, il y avait un chantier, et j’étais avec les techniciens. En arrivant sur le site, j’ai perçu une sonorité, une musique. Sans prévenir personne, je suis sortie et je suis partie dans la nature, guidée par ce son, jusqu’à ce que j’atteigne un village où des gens jouaient du tambour. C’était cette musique que j’avais entendue. Il s’agissait de musiques religieuses, et le rythme était envoûtant.
Je me suis retrouvée là, dans ce village, totalement absorbée par cette ambiance. Il a d’ailleurs fallu qu’on me ramène après. Je n’aurais jamais retrouvé le chemin toute seule. C’était comme si j’avais été happée, mais en même temps, j’avais l’impression de connaître les lieux. Ce n’est pas une histoire que je raconte souvent, parce que cela peut paraître un peu étrange. Mais je suis vraiment partie comme ça, sans savoir où j’allais, et j’ai fini par arriver dans ce village. J’y ai passé tout l’après-midi.
Ce premier séjour sur le Continent a duré combien de temps à peu près ?
Je suis restée trois mois dans le Kivu. Cela m’a permis de comprendre beaucoup de choses. Les Belges étaient partis à l’époque, et le pays était dans une situation étrange. Je comprends un peu mieux aujourd’hui, mais à ce moment-là, c’était une expérience particulière. Une belle expérience malgré tout. Je me suis baignée dans le lac Tanganyika. Mais tu vois, je n’avais pas encore cette conscience. J’étais heureuse d’aller en Afrique, mais surtout soulagée de m’éloigner de mon problème.
Après ce voyage, j’ai décidé de repartir vivre en Afrique. De retour en France, j’ai pris un congé sabbatique, en me disant qu’il fallait que je découvre ce continent. Mais comment ? Il n’existait pas de structure facilitant les mutations, etc. Alors, j’ai demandé un congé sabbatique et je suis partie en Côte d’Ivoire. J’avais beaucoup d’amis là-bas et un amoureux ivoirien. J’espérais pouvoir trouver du travail rapidement. C’était à l’époque d’Houphouët-Boigny, et je pensais qu’il y aurait peut-être une opportunité. Il n’y avait aucun débouché dans le Kivu, donc je ne pouvais pas y retourner. J’ai cherché un endroit où je pensais pouvoir m’intégrer et travailler. À cette époque, la Côte d’Ivoire représentait la lumière de l’Afrique de l’Ouest. J’y ai séjourné dix mois, mais je n’ai pas trouvé de situation stable. Il a donc fallu que je rentre en France.
Je suis revenue, car j’avais toujours mon emploi. J’ai travaillé encore un an ou deux, je ne sais plus exactement. Puis, j’ai pris un second congé sabbatique en me disant que cette fois-ci, je ne reviendrais pas. Je suis retournée en Côte d’Ivoire et j’y suis restée plusieurs années.
À partir de la Côte d’Ivoire, qui était ma base, j’ai sillonné l’Afrique de l’Ouest. J’ai voyagé dans les pays voisins : le Ghana, le Bénin, le Togo, le Sénégal, le Burkina Faso, la Sierra Leone. J’ai parcouru le continent ainsi pendant des années. Mais pour des raisons familiales, j’ai dû revenir en Guadeloupe : ma mère était malade.
C’est malheureux à dire, mais ayant connu l’Afrique, je ressens la Guadeloupe comme une espèce de prison. Et j’ai une petite anecdote par rapport à ça. Quand je vivais en Côte d’Ivoire, il y avait une jeune fille à la maison qui ne savait ni lire ni écrire, alors je lui apprenais des choses. Parfois, je prenais des livres pour expliquer des choses. Un jour, je lui ai montré une carte du monde et je lui ai dit :
— Viens, Maïmouna, je vais te montrer mon pays.
Je lui ai montré ce petit point qui est dans l’océan Atlantique. Elle l’a observé, mais de façon très intriguée. Elle m’a dit :
— Tantie, c’est ton pays, ça ?
Je lui dis :
— Oui, ce que tu vois là, c’est mon pays. Et tout le bleu autour, c’est la mer.
Elle m’a regardée avec de grands yeux et m’a dit :
— Tantie, c’est ton pays, ça ? Mais si quelqu’un te poursuit un jour, comment tu fais pour sortir ?
Ça m’a bien fait rire, et je lui ai répondu :
— Tu vois, pour sortir de mon pays, si tu n’as pas de bateau, il faut avion.
En Afrique, quand il y a un conflit, on met nos bagages sur la tête et on traverse les frontières. Mais quand tu vis sur une île comme ça, c’est pour cela que je dis que j’ai cette sensation d’être en prison.
J’ai connu une réalité similaire avec un ancien. Il s’appelait Kanté. Un jour, je lui ai montré la même carte et je lui ai dit :
— Vieux Kanté, je vais te montrer mon pays aujourd’hui.
Je lui ai montré la carte et il a fixé ce petit point-là. Après un moment, il m’a dit :
— Ça, là, c’est ton pays ? C’est un village ou bien c’est un pays ?
Je lui ai dit :
— Mais c’est mon pays. Il s’appelle la Guadeloupe.
C’est un gars qui avait les moyens matériels. Il regarde le petit point, il me dit :
— Vraiment, c’est un village ça ou bien c’est pays ?
Je lui ai dit :
— Mais c’est mon pays !
Il m’a répondu :
— En tout cas, le petit point que je vois là, si c’est ça vraiment ton pays, ça, je peux acheter.
Ces deux anecdotes m’ont marquée. Elles traduisent pour moi comment je me suis toujours sentie prisonnière dans cette terre-la. J’ai l’impression qu’on tourne en rond.
En Afrique, quel sentiment as-tu ?
Un sentiment de liberté. Il n’y a pas d’autres mots. Quand je suis en Afrique, tout est plus ouvert, plus aéré. Je suis libre, je me sens à l’aise. Mais ici, j’étouffe.
Quand je reviens, je ne reste jamais plus de dix jours. Ma sœur me dit toujours : « Tu nous embêtes, tu ne passes plus beaucoup de temps avec nous. » Mais je ne peux pas, j’étouffe.
En Europe, à la limite, je le supporte mieux, parce que c’est un continent. Tu peux te déplacer, prendre un train, un bus. Mais ici, c’est difficile pour moi.
Comment es-tu parvenue à développer la conscience qui t’a amenée à te lier si fortement à l’Afrique ?
Tout a changé quand j’étais en Côte d’Ivoire et que j’ai commencé à me déplacer dans les pays alentour pour les découvrir. J’ai pris conscience que l’Afrique est un continent, et non un pays. Souvent, on n’a pas une vision claire de ce qu’est réellement l’Afrique. Petit à petit, j’ai pris conscience de tout cela.
En 1992, je suis revenue en Guadeloupe à cause de la santé de ma mère. Nous habitions à la campagne, à Baie-Mahault. Un jour, les mamans du quartier ont décidé d’organiser une rencontre pour discuter du problème des jeunes qui commençaient à partir un peu n’importe comment. Elles se disaient qu’il fallait monter une structure pour les encadrer. J’étais présente à cette réunion. Nous avons finalement décidé de créer une association.
Le moment venu de choisir un nom, il y a eu des propositions du type Les Abricotiers, Les Cocotiers, je ne sais plus exactement. Et moi, je leur ai dit franchement que cela me posait un problème. Je n’avais pas envie de faire partie d’une association de plus qui porterait ce type de nom et qui organiserait des surprises-parties, des banquets, et toutes ces choses que l’on voit habituellement. J’ai proposé qu’on aille au-delà, qu’on se questionne sur nous, etc. Malè a yo, elles ont décidé que c’était moi la présidente.
Je n’avais jamais été présidente d’association, je ne savais pas trop comment faire, mais quand je fais les choses, je les fais avec mon cœur. J’ai accepté et leur ai dit : « Vous avez décidé que j’étais présidente, donc nous allons vraiment réfléchir au nom de cette association. »
Et il se trouve que lors de cette première rencontre, la deuxième puis la troisième, nous étions un maximum de femmes. C’est pour cela que j’ai proposé Mousso, parce que ça veut dire « femme » en bambara. Et tout le monde était d’accord.
L’association MOUSSO est née ainsi en mai 1997, et je leur ai dit : « Avec cette association, nous allons nous interroger sur nous-mêmes. » Elles ont répondu dakò. Elles étaient d’accord au début, et nous avons commencé. Mais au bout d’un an, yo disparèt. Ces femmes qui étaient là, qui étaient dans cette dynamique pour les enfants et tout ça, elles ont lâché le truc parce que je ne pouvais pas aller dans leur sens et je leur proposais des choses auxquelles elles n’arrivaient pas à adhérer. Mais j’ai continué.
Elles ont décroché à cause d’une histoire de Pâques. Elles voulaient célébrer Pâques, mais moi, je considérais qu’il fallait remettre en question nos habitudes, dans tous les domaines, et arrêter de faire du suivisme. Je leur avais proposé une toute autre activité pour ce week-end de Pâques, mais je ne me rappelle plus exactement quoi. Elles ont fait marche arrière, et on m’a laissée tout gérer. Je me suis retrouvée sur Canal 10 pour parler de cette activité. À l’époque, je suis allée sans frein, parce que je croyais au projet. Forcément, à chaque fois que je m’exprimais, il y avait un lien avec l’Afrique. Et ce jour-là, la responsable des programmes, en sortant de l’émission, m’a dit :
— « Je t’ai entendue parler, et je trouve que ce que tu dis est super intéressant. Tu sais, dans peu de temps, Raphaëlle, une animatrice, va partir. Je te propose un créneau pour faire une émission. »
Je lui ai dit :
— « Quoi ? Je n’ai pas fait de journalisme, je n’ai aucune expérience en la matière ! »
Rien que d’entendre ça déjà, j’ai commencé à trembler. Mais elle a insisté et m’a dit :
— « Ce n’est pas grave, c’est Canal 10. C’est une télévision de proximité. Ce n’est pas aussi protocolaire que les autres chaînes. »
J’ai répondu :
— « Jamais ! Je ne pourrai pas faire ça. »
Mais pendant qu’elle me parlait, je réfléchissais en me disant voilà une activité pour l’association, voilà un espace d’expression. Le problème, c’est que j’étais une personne extrêmement timide. Finalement, je suis partie sans donner de réponse. La semaine suivante, la responsable m’a contacté par téléphone et elle m’a dit :
— « Samia, ce que je t’ai proposé, ce n’était pas de la blague. Je veux vraiment que tu fasses une émission sur l’Afrique, parce que je trouve que ce que tu disais c’était vraiment intéressant. »
C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que je prenne mon courage à deux mains. Elle m’a donné rendez-vous la semaine suivante, je crois. Je m’en souviendrai toujours : j’arrive sur le plateau de Canal 10 en pensant qu’on allait simplement me tester, voir comment je me tenais devant la caméra, me familiariser avec l’environnement. J’avais préparé un petit papier et apporté une cassette VHS contenant des clips et des images du Continent, parce que pour moi il était important aussi de montrer l’Afrique. En arrivant, on me dit que l’émission commence… en direct !
Lire mon papier a duré à peine quelques minutes. Puis, j’ai dit :
— « Si vous me voyez aujourd’hui, c’est parce que je vais prendre le créneau de Raphaëlle, qui n’est plus là. Dorénavant, nous allons parler de l’Afrique au positif. Tous les jours, lorsqu’on entend parler de l’Afrique, c’est toujours en termes négatifs : famine, guerre, catastrophes… Oui, il y a du négatif, mais il y a aussi du positif. Et nous allons en parler. »
Puis, j’ai demandé au technicien de lancer un clip vidéo qui était sur ma cassette VHS.
Le défi, c’était que je devais tenir une heure d’émission en direct. Alors j’ai demandé au technicien d’ouvrir les lignes téléphoniques et j’ai lancé un appel en disant :
— « J’invite tous les Guadeloupéens qui ont vécu en Afrique pendant des années à appeler pour partager leur expérience. »
J’ai toujours trouvé inadmissible que ces Guadeloupéens, qui avaient passé des années sur le Continent, entendent parler de l’Afrique uniquement de manière négative et yo pa ka di ayen. Je ne pouvais pas croire qu’ils aient vécu si longtemps dans un environnement totalement négatif. Il y avait forcément du positif, et je voulais qu’ils en parlent. Les gens ont appelé. Une heure ne suffisait pas.
C’est comme cela que l’émission, Afrik Ô Positif, a vu le jour. Elle a duré deux ans. Je parlais simplement de mon vécu sur le Continent. Je décrivais les capitales que j’avais visitées, la modernité de certaines infrastructures, et je faisais constamment le lien avec nous.
Le grand frère Lucien Marillat a rejoint Mousso et a également joué un rôle très important dans l’émission. Il a été là dès la 3ème ou la 4ème émission me semble t-il. Il a amené une nouvelle dimension parce qu’il parlait de l’importance de retourner aux sources, de l’histoire. Il invitait à la lecture et a apporté des connaissances tirées des livres. C’est grâce à lui que j’ai découvert Cheikh Anta Diop. Il proposait toujours des références et cela alimentait les discussions lorsque les téléspectateurs appelaient.
Cette émission est devenue une activité de l’association Mousso, et elle a été un tournant dans mon engagement.
Quelles ont été finalement les différentes activités de l’association ?
Il y avait d’abord l’émission Afrik Ô positif, diffusée une fois par semaine. Ensuite, nous organisions Le Village aux couleurs de l’Afrique, qui se tenait chaque année au mois de juin, devant le siège de l’association. Nous avions également mis en place le voyage-pèlerinage en Afrique, « Retour aux sources », qui, pour moi, était un impératif. Enfin, en fin d’année, nous célébrions Kwanzaa.
C’est l’association Mousso qui a introduit cette célébration en Guadeloupe. J’ai découvert cette célébration grâce à ma belle-sœur américaine, qui m’avait offert un petit livre intitulé Kwanzaa. Et justement, j’ai pensé que ce serait bien qu’on puisse pratiquer cela ici. Et tous les ans, on organisait des rencontres pendant sept jours, chez des particuliers proches de l’association.
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Comment tout cela a-t-il été accueilli à l’époque ?
L’émission a été très bien accueillie par le public. Comme je gardais un pied sur le Continent, je me suis procuré une caméra pour filmer et montrer aux gens que l’Afrique n’est pas plongée dans l’obscurantisme, que ce n’est pas uniquement la brousse, etc. Je filmais surtout les capitales.
Une fois, je me souviens avoir filmé un marché en Côte d’Ivoire. À mon retour en Guadeloupe, j’ai également filmé le marché a Man Réo à Pointe-à-Pitre. J’ai ensuite combiné les deux images et je les ai diffusées dans l’émission, en demandant aux téléspectateurs de décrire ce qu’ils voyaient. Personne ne s’est rendu compte qu’il s’agissait de deux marchés différents. J’avais fait cela pour montrer que c’est le même peuple. On voyait vraiment les mêmes comportements, les mêmes façons de faire.
Pour l’émission, j’allais aussi à la rencontre des Guadeloupéens qui avaient vécu en Afrique. Ils partageaient leur expérience, et cela aussi a été très bien accueilli.
Par contre, je passais tout juste après Ibo Simon. Au début, quand j’arrivais, il m’attaquait avec ses propos. Je ne me suis jamais souciée de cela. Petit à petit, il s’est calmé. Finalement, il a même commencé à annoncer l’émission. C’était assez drôle parce qu’il disait aux gens : « An sòti palé zòt dè tou sa ki mové asi Nèg, mé rété la, Samia ka vin palé zòt dè tou sa ki bon aprézan. »
Je me suis rendu compte que l’émission avait ouvert des petites cases dans la tête de nombreuses personnes. En me déplaçant à travers la Guadeloupe, les gens voulaient discuter avec moi. Ils commençaient à se réapproprier leur africanité. Ils étaient fiers, car l’émission leur donnait cette envie d’être fiers. Les références à l’Afrique ont toujours été négatives dans notre environnement. Et là, il y avait enfin quelqu’un qui valorisait le Continent, et cela rendait les gens heureux.
Petit à petit, d’autres ont pu proposer aussi du contenu sur l’Afrique dans les médias, comme Kaël, Brother Jimmy. Quand on me le demande, je n’hésite pas à partager mes contacts. Ça a été le cas avec Aminata Traoré avec qui Brother Jimmy a réalisé une émission et bien d’autres encore.
Beaucoup de personnes ont également participé au voyage-pèlerinage « Retour aux sources » avec nous, notamment des membres d’associations qui sont actives aujourd’hui.
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Peux-tu aussi parler un peu de ce que vous avez fait dans le cadre du village « Aux couleurs de l’Afrique » ?
Pour le village « Aux couleurs de l’Afrique », nous mettions en avant des pratiques africaines qui existent ici, en Guadeloupe, sans que l’on en connaisse forcément l’origine.
Nous valorisions la cuisine, car nous utilisons les mêmes ingrédients qu’en Afrique. Nous faisions aussi découvrir de nouvelles choses. Par exemple, ici, il y a des feuilles de patate douce que peu de gens consomment, alors qu’en Afrique, elles sont utilisées pour préparer des sauces.
Nous accordions aussi une grande importance au côté vestimentaire, pour rappeler qu’avant la déportation, avant d’être réduits en esclavage, nous étions des princesses, des princes, des rois et des reines. On montrait, par exemple, comment porter un bébé dans le dos, comment nouer un pagne, et bien d’autres savoir-faire. Nous valorisions également les jeux ancestraux, comme l’awalé, en proposant des initiations. Parfois, nous recevions aussi des auteurs. Par exemple, Pierre Nilon était venu présenter son livre Moïse l’Africain.
On recréait un petit village comme ça, qu’on organisait au mois de juin. Il était d’ailleurs inscrit dans le programme de la fête de la commune. Ça se passait à Café. On nous a proposé, à plusieurs reprises, de le faire dans le bourg, devant la mairie, mais j’ai refusé parce que Café, c’est un village. Je préférais que ça se passe là. On le faisait sur un week-end et c’est un événement qui a aussi reçu un bon accueil.
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Il y a aussi eu le voyage « Retour aux sources ».
Absolument, il était essentiel pour moi que les gens renouent avec le continent africain. Nous organisions des voyages au Bénin. Nous avions comme interlocuteur privilégié la famille Jah, que nous connaissions bien.
Il était important pour moi d’inviter les gens à retourner en Afrique, mais pas n’importe comment, et surtout que nous soyons reçus avec le respect que nous méritions. Mon appel a été entendu, notamment par la Mère Jah, qui a veillé à ce que les autorités béninoises soient impliquées dans cet accueil. Nous avons été reçus avec les honneurs, comme des chefs d’État, avec des motards et tout le protocole. Mais les Guadeloupéens présents ne mesuraient pas forcément la portée de cet accueil. Pendant trois années consécutives, nous avons organisé ces voyages. Par la suite, l’expérience est malheureusement tombée dans la banalité, comme souvent. Mais à l’origine, l’objectif principal était historique et symbolique : nous, descendants de générations déportées, revenions sur notre terre d’origine.
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Je me souviens du tout premier voyage. Nous étions un petit groupe de sept ou huit personnes. Grâce au travail effectué par la famille Jah, un roi est venu nous accueillir directement sur la piste d’atterrissage. Nous avons également été reçus dans le Salon d’honneur. Pour moi, c’était important.
Je crois que, dès cette première année, on nous avait même proposé des terres, car nous étions considérés comme des enfants de retour à la maison. Ce roi de tradition yoruba nous a raconté que son peuple avait constitué une unité militaire pour libérer les Africains capturés par les Européens. En nous parlant, il a pleuré en nous disant qu’il était profondément touché parce que leur unité militaire n’avait pas pu sauver tout le monde. Il nous a dit : « Bienvenue, vous êtes mes enfants, vous êtes nos enfants. » Cet accueil était extrêmement fort.
Pendant trois ou quatre années, nous avons maintenu cette démarche. Mais lors de mon dernier voyage, j’ai été tellement dépitée par l’attitude de certains Guadeloupéens que j’ai décidé d’arrêter. Je me suis dit que ce n’est pas la peine de faire tous ces efforts si ceux-là ne comprennent rien. Le plus frustrant, c’est que ces personnes avaient pourtant un niveau culturel et de connaissances.
Comment cela se manifestait-il ?
Pour illustrer mes propos, par exemple, nous avons été reçus à la présidence. Mais, naturellement, le Président devait vaquer à ses obligations. Il avait d’autres personnes à recevoir, nous n’étions pas les seuls. Cependant, il tenait à nous accueillir comme ses enfants et à prendre un moment avec nous, alors on nous a fait patienter. Mais ni yonn ki fè malélivé a’y. Du style, on sort fumer dans la cour, on s’assied n’importe comment. Mais vraiment, je trouvais ça vraiment insultant. Alors, on a voulu lui expliquer. Mais, monsieur a trouvé que c’était trop long.
Il y a aussi eu le cas de cet historien, dont je ne citerai pas le nom. Et pareil, on arrive quelque part où la population est venue nous accueillir en grand nombre. Il s’agissait d’une population rurale, pour la plupart. Et là, il tape sur la table et s’exclame : « Vous nous avez vendus ! »
Ce genre de comportements m’a profondément découragée.
Lors de ce dernier voyage, heureusement, il y avait ma sœur. Le jour du départ, à l’aéroport, je me suis isolée. Je lui ai demandé de m’accompagner dans un coin, et là, je me suis assise par terre et j’ai pleuré, tellement j’étais déçue.
À ce moment-là, j’ai pris ma décision. Je me suis dit que je ne me fatiguerai plus à organiser tout cela. Désormais, si voyage il y a, on fera comme tout le monde. Vous payez votre billet, on vous emmène voir le marché, et c’est tout.
Voilà l’histoire du voyage.
Est-ce que maintenant, avec le recul, tu mets des mots sur cette attitude qu’ont eue ces intellectuels ?
Le voyage était banalisé par ces personnes. Elles avaient du mal à comprendre que MOUSSO n’était pas dans une démarche commerciale, mais dans une véritable démarche culturelle.
Chacun payait son billet, mais moi, je ne gagnais rien. Au contraire, il m’arrivait même de devoir payer certaines choses de ma poche, parce qu’il y avait toujours des imprévus. Mais quand on a une mission et qu’on est à fond dedans, on assume. Malgré cela, je pense qu’au fond, certains se disaient que c’était un business.
Ce qu’il y a de drôle, c’est que certains parmi eux ont constitué leur association depuis pour mettre en avant l’Afrique. Au fond, finalement le voyage aura malgré tout servi à faire évoluer leur regard sur le Continent.
Parmi vos autres actions, tu as aussi parlé de Kwanzaa. Tu as découvert cette cérémonie grâce à un livre qui t’a été offert. Mais qu’est-ce qui t’a donné envie de l’organiser en Guadeloupe ?
Pour moi, la cérémonie de Kwanzaa était avant tout une occasion de faire le bilan de l’année, à travers les sept principes proposés. Cela s’imposait naturellement. Nous menions des actions tout au long de l’année, il était essentiel de prendre un temps pour faire le point.
C’est dans cet état d’esprit que nous avons organisé Kwanzaa. C’était une manière de clôturer l’année, de s’interroger sur nos activités, sur la manière dont nous vivions notre fraternité, et sur ce que nous envisagions pour la suite.
Est-ce qu’il y avait aussi cette volonté d’amener les gens à découvrir autre chose ?
Oui, probablement. Mais, avant tout, pour moi, il s’agissait de prendre le temps de se questionner et, je l’avoue, de se démarquer d’un certain calendrier.
Dans un premier temps, la célébration a été réservée aux membres. Puis, nous l’avons ouverte au public.
Chaque année, par exemple, nous allions chez Mamie Cécile, la maman de Jacob Desvarieux. C’était une grande sœur qui vivait seule, et c’était une occasion justement de partager un moment de fraternité avec elle, d’échanger avec elle, de partager des connaissances, parce qu’elle a vécu en Afrique.
Vous aviez des participants à ces moments d’échange ?
Il y a eu beaucoup de gens, pas forcément tous les jours. Mais, les gens étaient présents.
On annonçait la célébration à la radio, et nous proposions du contenu enrichissant. Par exemple, on pouvait diffuser un film ou une interview d’intellectuels tels qu’Ama Mazama, Jean-Philippe Omotunde (Kalala Omotunde), qui intervenaient sur un thème précis. Ce type de contenu attirait les participants, parce qu’ils savaient qu’ils allaient apprendre quelque chose.
Une fois, nous avons même été dépassés par l’affluence : le nombre de personnes présentes était supérieur à la capacité du lieu que nous avions prévu.
Vous avez aussi proposé des cours de swahili ?
Oui, c’est vrai. Un membre de l’association, enseignant de métier, nous a rejoints, et nous avons mis en place des cours de swahili le samedi. C’était une opportunité d’apprendre une langue du Continent.
Mwalimu, qui dispensait les cours, était de culture swahilie. Et le swahili en plus a été choisi comme langue continentale, donc il nous semblait évident de l’enseigner. Un travail intéressant a été réalisé dans ce cadre. Il y avait une collaboration entre Mwalimu et Tate Gérard, de son nom de baptême Gérard Colbac, qui lui s’était beaucoup penché sur la langue guadeloupéenne. Pour ces cours, il y avait une collaboration de façon à amener un apprentissage du Swahili qui était facilité en s’appuyant justement sur notre langue
Tate Gérard allait très loin dans la philosophie de la langue. Je me souviens que Mwalimu était souvent surpris par sa capacité à décortiquer les choses. Il établissait des liens entre le swahili et le créole, et en deux temps, trois mouvements, il comprenait comment ça s’articulait. Sa contribution nous a énormément aidés.
Malheureusement, ils ne sont plus là aujourd’hui. Il n’est pas possible d’avoir leurs témoignages.
De nos jours, que fais-tu ?
Je suis repartie dans mes périples en 2008. Ceux qui étaient là ont poursuivi leurs propres activités, et l’association MOUSSO est tombée en sommeil. Mais moi, je continue, parce que je porte l’Afrique en moi.
On me pose souvent la question : « Mais c’est quoi ton problème avec l’Afrique ? » J’avoue que je ne sais pas. Ce sont probablement mes ancêtres qui sont là. Je n’ai pas d’autre explication. Ce n’est pas comme si j’avais suivi un parcours scolaire en histoire et que j’avais voulu approfondir mes recherches. Non, tout est intuitif, tout est naturel. Je suis happée, appelée par l’Afrique. Je la porte en moi, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Je ne peux pas vivre sans être en Afrique. J’ai besoin, au minimum une fois par an, de fouler le sol africain. Donc, je continue. À chaque fois, je me retrouve impliquée dans des associations. Après l’expérience de MOUSSO, je m’étais dit que je ne voulais plus entendre parler d’associations. J’ai essayé de résister, mais quand une mission est la tienne, tu as beau courir, elle finit toujours par te rattraper.
Actuellement, je fais partie de l’association qui s’appelle « Plante Ton Arbre Ô Faso », au Burkina Faso. Nous avons acquis un petit peu de terre. C’est un pays du Sahel qui est donc confronté au déboisement, à la sécheresse et tous les problèmes qu’on connaît. Nous avons une surface de deux hectares, et on essaye de replanter là-bas. Ça n’avance pas bien vite parce que c’est très sec là où l’on est. Pour que ça puisse avancer, il aurait fallu qu’on ait un forage. Mais avoir un forage, même en Afrique, c’est beaucoup d’argent. Les gens pourraient penser que ça ne coûte pas cher, mais ça coûte très cher. Et donc, du coup, on fait avec les moyens du bord. On plante des arbres fruitiers, mais aussi on exploite la surface en plantant des haricots, du maïs, des arachides, etc. Nous faisons un petit peu d’élevage à côté, des poules, des pintades et tout ça. Mais l’objectif, c’est de participer au reboisement.
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Il y a-t-il un moyen de découvrir les activités de cette association ?
Oui, nous sommes présents sur Facebook. Nous avons une page sur laquelle on met du contenu sur les plantes, leurs origines, leurs bienfaits, et aussi des informations sur nos activités.
Une vie assurément riche en rencontres et en expérience. Le négatif n’a pas découragé le positif. Une vie riche de culture, de partage… très intéressante interview.
Bon retour au pays de Canaan encore et encore car là est le centre de vie , je m’inscris.