Racines : connaître son histoire pour se construire positivement
Créée en 2000, Racines est une association de Guadeloupe qui a pour objectif de participer à la vulgarisation des connaissances sur l’Afrique et l’histoire des afrodescendants. Ses actions sur le terrain (le Mois de l’Afrique, le Week-End Retour au naturel…), font partie des événements culturels majeurs de cette île de la Caraïbe. Forte de ces expériences, Racines a désormais opté d’œuvrer pour nouvelle forme de diffusion du savoir. L’association veut créer la première école panafricaine de Guadeloupe. Nous nous sommes entretenus avec Marie-Josée Tirolien-Pharaon, présidente de Racines, afin de découvrir plus amplement l’association et son nouveau projet.
Pourquoi cette association a-t-elle été créée ?
Nous avons pensé qu’il y avait un déficit d’informations qui a des conséquences dommageables sur la population. De ce manque d’informations découle une mauvaise connaissance de soi et une mauvaise estime de soi. Les informations à disposition ne parlaient jamais de nous, jamais de ce que les Africains et leurs descendants avaient fait pour leur propre histoire et pour l’humanité. À cause de ce manque de connaissances les afrodescendants perdaient confiance en eux-mêmes et croyaient qu’ils n’avaient jamais rien fait.
Pour pallier cette situation, quelles sont les actions que vous avez réussi à mettre en place ?
Nous avons commencé par créer un magazine. Un magazine trimestriel dans lequel on pouvait trouver des éléments concernant notre histoire. Le but c’était de diffuser la connaissance et de permettre à ceux qui le désirent d’aller beaucoup plus loin en proposant des références bibliographiques. Le magazine en lui-même était déjà un instrument permettant d’avoir un socle de base sur notre histoire, les origines de l’humanité,… De nos jours, parler de cela semble assez naturel, mais quand on a commencé Racines, ce n’était pas du tout évident de faire comprendre à la population qu’en majorité nous sommes d’origine africaine.
Ensuite, on s’est dit que ce serait bien de rencontrer les gens donc on a commencé à faire des conférences. On a créé des événements, des manifestations. On a créé un jeu de 7 familles autour du monde noir qui permettait tout en s’amusant de connaître son histoire.
Vous disiez qu’au début ce n’était pas évident. Avez-vous l’impression aujourd’hui que votre travail a porté des fruits et que les choses changent ?
Oui effectivement, les choses ont changé. C’est extraordinaire, mais en 20 ans, on a vu le paysage culturel se transformer et la connaissance augmenter au niveau de notre population. Il y avait aussi bien sûr d’autres associations sur le terrain. Nous ne sommes pas les seuls à y avoir contribué. Certaines étaient d’ailleurs là bien avant nous.
Certaines de ces associations se sont jointes à ce qu’on faisait et nous avons réussi à nous fédérer pour des événements comme le Mois de l’Afrique. Cet événement a eu un impact sur l’île et a contribué à changer l’image qu’on se faisait de nous-mêmes et l’image de l’Afrique. Ce qui est important selon nous, car tant que l’image de l’Afrique ne sera pas restaurée convenablement en nous, nous aurons un déficit d’estime. Il faut absolument que l’image de l’Afrique puisse être différente de ce que les médias nous montrent. Il faut qu’à l’intérieur de nous-mêmes cette image change.
Comment une simple image peut avoir un effet sur la façon dont se pense toute une population ?
Nous sommes dans un système qui au niveau éducatif, au niveau des médias nous a toujours proposé un modèle auquel on s’identifie puisqu’on a que ça. Lorsque l’on se rend compte que l’on a un modèle auquel on aspire, mais qui est très différent de ce que nous sommes, on finit par mépriser ce que nous sommes pour pouvoir atteindre cet idéal qu’on nous propose. Par contre, en arrivant à intégrer notre propre modèle, c’est-à-dire en se tournant vers notre propre image, on parvient à développer un amour de soi. On comprend qu’il y a des hommes qui nous ressemblent, qui sont nos Aïeux, qui ont contribué à la progression active et importante de ce monde. Cela permet de changer l’image que nous avons de nous-mêmes puisque nous sommes nous, nous sommes nos Aïeux, et nous sommes nos Ancêtres. Il y a une transmission entre générations.
Si l’image de nos Ancêtres n’est jamais restaurée en nous, nous avons une mauvaise image de nous-mêmes. Mais en apprenant à savoir qui nous sommes, d’où nous venons, qui sont nos Ancêtres, nous avons une autre vision de nous-mêmes. Lorsque l’on découvre qu’en plus nos Ancêtres ont eu une histoire merveilleuse, nous pouvons nous exprimer beaucoup plus librement parce que nous nous rendons compte que nous avons une lignée, nous ne sommes pas rien. Nous pouvons nous identifier à ceux qui nous ressemblent.
Mais comment réussir à évoluer harmonieusement dans ce système si on s’identifie à un modèle autre que celui qu’il propose ?
Tout l’enjeu est là. Nous devons déjà réussir à comprendre que l’image que le système nous propose ne nous convient pas et entraîne au contraire des manquements graves dans notre personnalité et dans notre identité. Quand on a compris cela, il faut arriver à connaître sa propre histoire, savoir d’où on vient, savoir qui nous sommes.
En fait, nous devons apprendre à nous recréer, à nous identifier à des images qui vont nous permettre de nous développer nous-mêmes et de pas toujours être en opposition avec ce que nous sommes.
Aimé Césaire disait « plus nous serons Nègres, plus nous serons universels ». En fait, c’est en se connaissant soi-même qu’on arrive à être en connexion avec le monde et avec les autres. Si on ne se connaît pas soi-même, il y aura toujours un malaise, un mal-être entre ce que nous voulons être qui ne nous sied pas et ce que nous aurions dû être. La proposition est maintenant de nous connaître nous-mêmes, de savoir qui nous sommes, de connaître notre histoire et d’arriver à faire la paix avec notre histoire, avec nos Ancêtres et à aimer nos Ancêtres, à nous aimer nous-mêmes pour que nous puissions nous ouvrir aux autres.
Il nous faut absolument reprendre nos propres repères pour que nous puissions reprendre la marche de notre nous-mêmes.
Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il s’agit de théorie et que ça n’impacte pas leur quotidien. Que diriez-vous à ces personnes ?
Franchement, je mets des mots sur ce que je ressens, mais il n’y a rien de tel que de faire la démarche et de vivre soi-même cette expérience. Nous avons fait ce chemin et tous ceux qu’on a rencontrés, tous ceux avec qui ont a eu la chance de pouvoir partager cela, tous ceux qui l’ont fait par différentes voies aussi, ne sont plus les mêmes parce que c’est important de se reconnecter avec soi-même, avec son peuple, avec son identité et avec son histoire. C’est vraiment important pour ce qu’on est par la suite parce qu’on ne voit plus les choses de la même manière. On est beaucoup plus apaisé, on est beaucoup plus serein. On voit les choses de manière différente parce qu’il n’y a plus d’opposition, il n’y a plus cette dualité Noirs / Blancs qui est constamment à l’œuvre quand on ne sait pas qui on est parce qu’on est toujours en train de se référer à un autre modèle. Donc, j’invite vraiment tout le monde à faire cette démarche qui consiste à se réapproprier son histoire.
Est-ce qu’indirectement, c’est dire à chaque peuple intéressez-vous à votre histoire, car on n’a pas nécessairement à aller vers l’histoire de l’autre ?
Non, pas du tout. C’est dire à chaque peuple intéressez-vous à votre histoire et en s’intéressant à votre histoire, il y a des ponts qui se créent automatiquement vers celles des autres peuples. C’est ce qui se passe en fait parce que lorsqu’on connaît son histoire, on voit aussi ce que les autres peuples ont amené, on voit ce que nous avons amené aux autres peuples, on se restructure et on a une autre image de nous-mêmes.
Quand on a une image apaisée de soi-même, on ouvre naturellement les mains vers les autres. Tant qu’on est frustré ou qu’on s’identifie de gré ou de force à ce qui n’est pas à nous, on ne peut pas être apaisé. Lorsqu’on s’est approprié son histoire, on peut plus facilement échanger, discuter, et correspondre en toute sérénité, en toute paix avec tout le monde.
Vous avez mené de nombreuses actions sur le terrain et depuis quelques mois, vous avez annoncé la création d’une école. Pouvez-vous nous en parler ?
On y pense depuis plusieurs années. Ça fait 20 ans qu’on est sur le terrain et plus ça va, plus on se rend compte que l’action qu’on doit mener doit intéresser en particulier nos enfants. Ils ont cette faculté de pouvoir intégrer plus naturellement cette histoire et ce sont aussi eux qui vont changer notre futur.
Il y a 4 ans, on a commencé par une école parallèle le mercredi après-midi. Donc, les parents amenaient leurs enfants et on leur apprenait notre histoire, mais aussi à apprendre à aimer leur environnement, à manger les fruits et légumes locaux, et découvrir tout ce que notre environnement propose en matière de nourriture, d’habitat et aussi de perspectives pour l’avenir. Les mercredis après-midi, les parents étaient contents et les enfants aussi. Mais, lorsque l’on considère que les enfants sont constamment bombardés d’images qui ne sont pas les leurs et qui déstructurent leurs manières d’être, 2 heures hebdomadaires ne nous semblaient pas suffisantes. Donc on a décidé de créer une école. Elle ouvrira en septembre 2021.
Ce sera une école panafricaine parce que c’est important, à mon avis, de remettre le mot Afrique au cœur de ce qu’on fait. Tant que l’Afrique ne sera pas valorisée par nous-mêmes, personne ne la valorisera, et nous continuerons à être dévalorisés tant que l’image de l’Afrique ne sera pas restaurée dans le cœur de chacun des afrodescendants puisque c’est notre patrie, c’est de là que nous venons.
La particularité d’une école panafricaine est de remettre en avant les valeurs africaines que nous avions avant : les valeurs d’honneur, de respect, de respect de la nature, de respect des aînés,… Dans la méthode de travail, nous avons gardé l’interactivité entre les différents âges qu’on retrouve en Afrique entre les petits et les grands. Ils sont ensemble, ils interagissent, ils apprennent l’un de l’autre. Et on va aussi garder le côté pragmatique de l’Afrique, c’est-à-dire on apprend avec la cuisine, l’agriculture, etc. Donc concrètement on apprend des notions abstraites, mais on intègre ce à quoi ça sert dans le quotidien. C’est aussi une école qui va leur permettre d’aimer ce qu’ils sont et de travailler sur l’estime de soi. Tout ceci grâce à un travail en commun avec des personnes compétentes.
Où pensez-vous trouver des enseignants pouvant dispenser de tels enseignements ?
On les a déjà trouvés.
Comment avez-vous fait ? Pourquoi ne les a-t-on pas dans le système éducatif ?
Quelques-uns sont dans le système, seulement ils sont contraints par les programmes de l’éducation nationale. On les empêche de faire au maximum ce qu’ils auraient aimé faire. Là, on a une enseignante qui commençait à travailler comme ça, mais elle avait beaucoup de difficultés à faire accepter sa méthode. Donc on lui a proposé d’enseigner au sein de notre école. Elle a été vraiment enchantée parce qu’elle pourra donner le maximum de ce qu’elle voulait faire méthodiquement. Nous, on va lui apporter tout le côté connaissance de l’histoire de l’Afrique et les outils pédagogiques. Il y aura aussi d’autres intervenants. Pédagogiquement, elle va pouvoir former les autres enseignants qui vont intervenir dans l’école. Donc on va commencer en septembre 2021 avec du personnel formé afin de permettre à nos enfants de donner le meilleur d’eux-mêmes.
Ces enfants pourront-ils par la suite poursuivre des études normalement ?
Bien sûr. Même s’il est vrai qu’il s’agit d’une école privée hors contrat, comme toutes écoles sur le sol français, nous aurons à suivre un socle de base posé par l’éducation nationale. Cela ne nous pose aucun problème puisque nous irons au-delà de ce socle de base. Donc, ces enfants seront à l’aise pour la suite de leurs études.
Nous voulons qu’ils apprennent à réfléchir, à se questionner sur le monde, sur les choses qui les entourent. On veut que ce soient des enfants qui soient à l’aise avec eux-mêmes. Il faut que nos enfants évoluent dans un contexte qui leur est favorable, il ne faut pas qu’ils aient honte d’eux-mêmes.
Il y a-t-il des éléments que vous avez pu tirer de l’expérience du mercredi après-midi que vous mettrez en pratique au sein de l’école ?
L’expérience du mercredi après-midi nous a permis de remarquer que les activités transversales aident beaucoup les jeunes à intégrer les concepts qui leur sont transmis. Je donne une anecdote qui permettra de mieux comprendre. En cuisine, pour la réalisation d’un gâteau, j’ai pu introduire la notion de fraction. La plus petite de 6 ans a pu très facilement comprendre avant même les autres qui pourtant avaient déjà étudié cette notion. Le problème est qu’ils voyaient la fraction, autrement dit les chiffres avec la barre, mais sans vraiment comprendre à quoi cela pouvait renvoyer. Cette activité leur a permis de percevoir les choses différemment. Puis, on a pu aisément passer à l’écriture de fractions, à l’addition des fractions, etc. C’est pareil pour l’agriculture, à partir d’une activité on a pu faire des mathématiques, du français, etc. alors qu’à la base nous parlions de comment planter et récolter des patates. En fait, avec une notion, on peut aborder différents domaines et les jeunes perçoivent mieux l’intérêt de ce qui leur est enseigné.
Tout cela fait penser au travail de Dany Bébel-Gisler, de Gérard Lauriette et des autres qui ont œuvré en ce sens. Vous inspirez-vous de ces approches qui ont été appliquées antérieurement ?
Ça nous ramène à cela. Nous devons toujours nous baser sur ce qui a été fait pour aller plus loin. L’école sera trilingue. Les enseignements se feront aussi bien en français, en créole qu’en anglais.
L’enseignante, que nous avons contacté, s’est justement rendu compte que quand elle avait des difficultés à faire passer une notion, en l’expliquant en créole les élèves comprenaient plus facilement. En passant au créole, elle a même vu des enfants qui ne parlaient jamais prendre la parole et demander à aller au tableau.
Ces expériences nous permettent donc d’essayer d’amener les choses un peu plus loin afin de servir au mieux nos enfants.
Quel parent pourra faire la démarche de se rapprocher de vous et d’inscrire son enfant à cette école ?
On commence déjà à communiquer sur l’école avec ses objectifs et ses buts. Donc tous les parents, qui se sentent concernés par l’éducation de leur enfant afrodescendant dans un contexte qui leur est favorable, peuvent se rapprocher de nous pour leur inscription à l’école.
À la rentrée de septembre 2021, quel niveau sera proposé ?
Nous prenons les enfants de 4 à 11 ans. Les parents peuvent venir inscrire leurs enfants pour qu’ils soient pris en charge correctement. Bien sûr, l’école offrira une cantine, une organisation des temps périscolaires et tout ce qu’un parent peut attendre d’une école.
Vous avez lancé une cagnotte solidaire en ligne. Pouvez-vous en parler ?
Nous travaillons pour nos enfants donc la population peut avoir envie de participer et cela est possible par ce biais. Le plus simple est d’aller sur associationracines.com, il est possible là de découvrir une présentation de l’école et ceux qui veulent faire un don peuvent le faire en cliquant sur le lien proposé.
On peut aider financièrement, mais on peut aussi aider bénévolement. Il est possible de se rapprocher de nous en proposant une heure de son temps, une matinée, c’est aussi important. Il est possible de proposer ce que l’on sait faire avant même l’ouverture de l’école pour sa mise en place. Et, quand l’école fonctionnera, il pourrait par exemple être possible de nous aider à encadrer les enfants lors des temps périscolaires. Pour cela, il est possible de nous écrire à ecolepanafricaine@protonmail.com ou alors nous appeler au 0690 811 023.