Meemee Nelzy : créer au nom de l’amour et de la liberté

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Auteure, compositrice, interprète et productrice, Meemee Nelzy est une artiste novatrice qui depuis maintenant 20 ans a entamé ses aventures dans le monde de la musique. En 2009, avec la sortie de son premier album intitulé Âme nouvelle, elle a su imposer un style inédit associant ses influences américaines aux sonorités caribéennes qui la berce depuis sa plus tendre enfance. Artiste hors normes, elle nous invite à porter de nouveaux regards sur nos réalités avec sa musique et ses mots. Avec Antidote, son dernier projet en date, elle confirme sa singularité artistique et propose de belles collaborations qui contribuent à faire la particularité de cet opus. Nous vous proposons de découvrir son parcours.

Comment as-tu fait tes premiers pas dans le monde de la musique ?

Comme beaucoup d’adolescents, j’étais très passionnée de musique. J’en écoutais tout le temps et j’avais envie plus tard d’en faire. Je n’ai pas suivi de cours de musique ou de chant quand j’étais plus jeune. Par contre, quand je suis partie pour les études, étant seule, durant mon temps libre, j’ai commencé à écrire des textes, à parfaire un peu mon éducation en écoutant beaucoup plus de musique. Puis, j’ai rencontré des copains qui étaient déjà musiciens et j’ai intégré un groupe au début en tant que choriste, puis petit à petit j’ai commencé à chanter. Mais, c’est vraiment ma toute première expérience de chant à ce moment-là.

Par la suite, j’ai commencé à faire du beatmaking. J’ai appris avec mon frère à l’époque sur des PCs avec des logiciels. Puis, pratique après pratique, ça a donné des compositions en plus des textes.

Lorsque je suis retournée aux Antilles, j’ai commencé à travailler en tant que choriste. De fil en aiguille, comme l’île est petite, grâce à des rencontres que j’ai faites ici, j’ai commencé à travailler de manière professionnelle en tant que choriste. Du coup, en même temps, j’ai pu financer la création d’un album que j’ai créé seule en lisant des bouquins spécialisés.

C’est un vrai parcours atypique parce que j’ai voulu tout faire un peu seule et apprendre par moi-même sur le terrain.

Quel type de musique écoutais-tu ? Quelles ont été tes références ?

Comme tout antillais qui se respecte, enfant évidemment j’écoutais Kassav’, le zouk des années 80, Zouk Machine, Tanya Saint-Val. Mais aussi, comme je suis née dans l’hexagone, mes plus petites années, j’étais souvent dans les fêtes familiales avec mes grands cousins de l’époque et eux, ils écoutaient de la New jack et des artistes comme Sade. J’ai donc aussi grandi en écoutant beaucoup les musiques américaines.

Lorsque j’ai commencé à chanter, à partir des années 1995 et début des années 2000, les musiques que j’écoutais c’était surtout le R&B américain, le hip hop et le courant de la Nu soul. Progressivement, je me suis aussi beaucoup intéressée aux musiques plus anciennes comme le funk des années 70 – 80.

Je me suis aussi particulièrement intéressée à des artistes comme Erykah Badu et Jill Scott. C’est un peu la base de ce que j’aime parce que ça regroupe l’africanité, le funk, le jazz, le hip hop et la soul. C’est tout ce que j’essaie de mettre dans ma musique.

En revenant au pays, quand j’ai vraiment commencé mon album, je me suis un peu plus tournée vers les sonorités créoles, les sonorités Kako. Et, l’intérêt du Kako c’est vraiment le mélange de nos influences occidentales ou américaines avec la partie caribéenne qui est en nous.

Tu as commencé en tant que choriste au sein d’un groupe. Peux-tu en parler ? Quel type de musique faisiez-vous ?

Dans le groupe dans lequel j’étais, il y avait des étudiants originaires de différents pays d’Afrique. Nous étions 2 Guadeloupéennes dans la formation. Les autres étaient européens. Nous avions vraiment des origines diverses, mais nous étions tous fous de soul et de R&B. Parmi nous, il y avait autant des rappeurs que des chanteurs, des musiciens et des producteurs de musique. Du coup, on a commencé à faire des scènes live, à écrire des compositions communes.

L’un des artistes de la formation avait pu avoir un deal avec un label africain de Paris. Et ma première expérience officielle avec eux, c’est sur cet album de R&B à la sauce Soul. Ça ressemblait beaucoup à ce que faisait Kaysha, Jean-Michel Rotin et au R&B de l’époque. Nous étions beaucoup inspirés par toutes ces fusions musicales. Il y avait aussi le kuduro et la kizomba parce que la plupart des artistes étaient angolais. C’était vraiment une fusion d’influences africaines, américaine et européenne.

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Après tes études, retournes-tu immédiatement au pays ?

Absolument.

Qu’il y a-t-il eu entre cette première expérience et la sortie de ton premier album ?

C’est une période pendant laquelle j’écrivais de nouveaux textes, j’apprenais à faire des compositions. À partir de 2005-2006, j’ai vraiment commencé à intégrer des scènes en Guadeloupe, à être choriste ou à faire des featurings avec des rappeurs de la scène Kako. Mon premier album est ensuite sorti en 2009.

 Comment tes connexions avec ces artistes ont-elles été possibles ?

Notre chance c’est que le pays est petit et la scène hip hop/R&B c’est une niche donc de bouche à oreille, les connexions se font rapidement. En très peu de temps, j’ai rencontré des rappeurs, des DJs et petit à petit, mon nom à commencer à circuler.

Les réseaux sociaux aussi ont fait la part du travail. En 2004, il y avait la plateforme Myspace. On pouvait y mettre des démos, avoir une playlist. Grâce à cela, j’ai pu entrer en contact en très peu de temps avec beaucoup de monde tant à l’étranger, qu’en Guadeloupe. Du coup, j’ai pu connaître tous les artistes indépendants de la scène musicale antillaise par le biais d’Internet.

Quand on faisait appel à toi au départ c’était en tant que choriste. Avec ton premier album il y a-t-il eu un changement vu que tu choisis là de te présenter en tant que chanteuse ?

En fait, j’ai toujours fait un peu des 2. Même si j’avais la casquette de choriste parce que c’est un peu pour cela qu’on m’appelait, quand j’ai rencontré d’autres artistes j’ai réalisé quelques featurings. Et, j’ai commencé à faire des petites scènes dans des petits événements où je chantais sur mes démos. C’étaient des petits événements de petites ampleurs, mais qui avaient la capacité de réunir tous les gens de l’époque qui étaient dans le mouvement underground créole. Du coup, quand j’ai sorti l’album, les gens de ce mouvement me connaissaient déjà. Il en est de même pour les artistes que j’avais eu l’occasion de rencontrer comme Jaccques D’Arbaud, Dominik Coco.

En fait, quand j’ai rencontré Lydia Barlagne, nous sommes très vite devenues amies parce que nous avions le même amour de la musique, le même amour et la même volonté d’être une femme qui essaie d’être autonome, de créer ses compositions et d’écrire, ce même amour du vocal et des harmonies. Très tôt, elle m’a incité à l’accompagner en tant que choriste. Du coup, la première expérience pour laquelle on m’a appelé de manière professionnelle, c’était pour le concert de Jacques D’Arbaud au Centre des Arts. Et, il est vrai qu’à l’époque il y avait tellement peu de monde dans notre milieu que nous étions toujours les mêmes présents dans tous les événements guadeloupéens. C’est donc aussi grâce à Lydia Barlagne que j’ai pu rencontrer d’autres artistes très rapidement. Je lui en suis très reconnaissante.

Tu dis avoir pu produire ton premier album grâce à la lecture d’ouvrages. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

À l’époque, j’étais beaucoup sur Internet et il y avait une institution en France qui sortait des bouquins de référence sur l’autoproduction musicale. Ce sont des livres que j’ai vraiment épluchés. Ils expliquaient étape par étape comment on fait un album. Il suffisait de suivre ce qu’il y avait dans les bouquins.

Pour ce qui était très technique, il suffisait d’avoir un bon réseau. Je connaissais beaucoup d’artistes indépendants comme moi, et comme on dit sé débrouya. J’avais la chance d’avoir un emploi à plein temps dans le milieu du tourisme, donc l’argent n’était pas un problème, même si on a fait les choses avec des petits moyens. J’ai donc chapeauté la réalisation ainsi que la direction de l’album et j’ai collaboré avec d’autres personnes compétentes. Ça a été une aventure de partage, car il n’est pas possible de faire un album entièrement seule.

Mais, il faut bien remettre les choses dans leur contexte. C’était dans un esprit de musique indépendante avec des logiciels, les moyens du bord. À l’époque, nous étions tous jeunes, nous avions la gnaque et l’énergie. C’est la plus belle des choses ! C’est ce qui nous permettait de concrétiser nos projets. 

Tu as aussi créé ton propre label pour la sortie de ton premier album ?

C’est exact, il n’est pas simple de frapper aux grosses portes. Donc, le mieux c’était de faire soi-même. Du coup, j’ai créé une petite société de manière à pouvoir légitimer l’album et pouvoir ensuite passer par des sociétés de distribution.

Peux-tu parler de l’esprit dans lequel tu as créé cet album ?

Dans ma manière d’écrire ou de composer, je cherche à faire des mélodies qui sont assez simples même si elle reste hip hop. Après mon état d’esprit du moment, c’était ma jeunesse. J’aime beaucoup me questionner sur l’avenir, sur le présent, sur ce qui compte, sur les dangers de telle ou telle situation et donc mes textes sont en général très ancrés dans la réalité. À l’époque d’Âme nouvelle qui est sorti en 2009, j’étais dans cette période super intéressante où je quittais l’ado un peu timide, un peu réservée pour devenir une femme ancrée dans sa société. C’est un peu ce que dit l’album : je sais qui je suis, mais j’ai encore beaucoup de choses à découvrir. Il s’agit des questionnements d’une jeune femme de l’époque.

Suite à la sortie de ce premier album, tu as fait beaucoup de scènes. Et, très rapidement, tu as enchaîné avec ton 2ème album. Peux-tu nous parler de cette période ?

Il a fallu faire preuve d’originalité pour faire du porte à porte avec mes CDs sous les bras et aller voir les radios et la presse. J’ai arrêté le travail que je faisais pour m’y consacrer à 100 %. Je n’ai jamais voulu avoir d’agent ou de manager, pas d’équipe de com, donc j’ai vraiment tout fait toute seule. Évidemment, après il y a aussi eu les bonnes volontés de ceux qui soutiennent naturellement, qui donnent des coups de main et permettent que les choses aillent encore mieux.

Les gens ont été assez réceptifs parce que j’étais un peu un ovni à l’époque. Pour se remettre dans le contexte, personne ne faisait que du R&B chez nous. L’album était surtout écrit en français, mais il y avait 2 morceaux écrits en créole par Timalo, un artiste de la scène slam. Il est vrai que des chanteuses comme Tanya Saint-val ou Joëlle Ursull avaient déjà fait de la soul en créole dans les années 90. Ines Khai avait aussi sorti un premier album qui avait été très très bien reçu par le public et le milieu underground. Mais, faire tout un projet et l’assumer, faire quelque chose qui n’a rien à voir avec le zouk a suscité la curiosité.

J’avais une société de distribution qui a pu placer mon CD dans toutes les boutiques spécialisées de l’époque. On en vendait aussi à chaque concert. La curiosité aidant, ça m’a fait des articles de presse. Les organisateurs de spectacles ont pu être intéressés pour que je fasse des passages, voire des concerts, que je participe à des festivals en Martinique. Les concerts à Paris, je les ai financés moi-même. Je suis partie là-bas, j’ai cherché des lieux pour me produire. Ça a été un investissement important, mais l’album c’est bien vendu donc ça a été positif.

C’était une belle époque où il y avait énormément de changement dans la scène créole. D’ailleurs, on parlait de nouvelle scène créole. Cet engouement pour Erik Pédurand, pour Ines, pour G’ny qui arrivaient aussi. C’était une époque qui était juste magnifique dans la mesure où on renouvelait la scène. Nous avions des choses à dire et des méthodes de travail différentes. J’ai bénéficié de tout cela et c’est pour cela que ça avait bien fonctionné. J’ai d’ailleurs été nominée en tant que révélation au prix de la SACEM Guadeloupe.

Je n’ai pas voulu tarder pour la sortie de mon 2ème album. Je me suis très vite remise au travail et j’ai recommencé à écrire. J’ai délégué tout ce qui était travail de composition à d’autres artistes et je me suis cantonnée à l’écriture de textes en créole. J’ai chapeauté le tout comme auparavant. Mais, tout a été beaucoup plus simple vu que j’avais une première expérience, un réseau plus large. J’ai aussi souvent été appelé pour des feats.

En juillet 2011, j’ai pu postuler pour une résidence d’artistes au Canada. C’était une résidence d’écriture. J’étais partie avec Stevy Mahy et on représentait les francophones des Antilles. Nous étions avec d’autres francophones de la Louisiane et du Canada pour des séances de travail pour créer un spectacle qui a été présenté en 2012 à Ottawa. Donc, tout cela créait une certaine émulation. J’ai pu alors créer très vite ce nouvel album intitulé Kréyòl seasoning qui est sorti en octobre 2011.

Sur le 2ème album, les textes étaient en créole. C’était un choix ou l’inspiration du moment ?

C’était les 2 à la fois et c’est aussi venu de mes fans qui me l’ont demandé. Je souhaitais aussi renouer avec mes vraies racines créoles et il y avait quelque chose à montrer avec des sonorités de chez nous, inspirées de ce qu’on a dans notre pays et d’y intégrer le créole afin de créer un courant un peu plus original. Je précise aussi que tous les beatmakers sont des Antillais. Chacun avait carte blanche, mais je voulais que chacun y mette sa créolité. Ces instrus avec les textes, ça a vraiment donné un album qui a été reconnu, aussi dans l’underground au niveau international. Il a été repéré par une filière caribéenne d’Okayplayer et ils ont jugé qu’il faisait partie des 10 albums caribéens les plus intéressants de l’année. Cet album reste mon plus gros succès en termes d’estime.

Écrire en créole, quelle différence cela a-t-il fait pour toi ?

Ça m’a fait un bien fou ! Maintenant, j’avoue avoir du mal à écrire en français.

Le créole n’était pas une langue que je parlais beaucoup à la maison, j’ai été élevée plus en français. Je n’étais pas toujours très à l’aise au départ avec la langue, mais heureusement c’est un travail qui m’a permis de m’ancrer dans la singularité du créole, d’essayer de dissocier la manière d’écrire en créole et celle en français. Ce n’est plus du tout la même façon d’écrire et pour moi, l’expérience valait la peine d’être vécue et je suis très fière de cela.

Quand on veut exprimer ce qui relève d’un mode de vie créole finalement, c’est mieux de le faire en créole. Le créole c’est une langue et c’est aussi une culture donc pour mieux comprendre les subtilités de la culture c’est mieux de l’exprimer en créole. Ça paraît logique, mais moi je n’avais pas cette façon de penser à l’époque. Donc, c’est ce que ça m’a permis de découvrir et maintenant je me dis que c’est un travail à faire pour moi et j’en suis très très contente. Aujourd’hui, ça paraît banal parce que tous les courants hors zouk sont faits en créole ici. Mais, à l’époque, on n’était pas très nombreux à le faire. Même les zoukeurs ne chantaient pas forcément tous en créole.

Est-ce qu’à un certain moment, on vous a reproché de vous éloigner des musiques locales ?

Non, je ne pense pas que c’était des reproches. En tout cas, moi je ne l’ai pas vécu comme cela. Mais, on nous suggérait quand même d’envisager de faire au moins un zouk. Au départ, il est vrai que ça me gênait de devoir me justifier. Comme j’aime à dire, quelqu’un qui est passionné par les mangas et le Japon, on ne lui demandera pas pourquoi tu n’aimes pas le créole. En fait, ça n’a rien à voir ! C’est juste une passion que j’ai pour les musiques afro-américaines et je me dis que c’était soit ça, soit rien. Il y a énormément d’acteurs sur la scène qui font du très bon travail et moi, je n’avais pas l’impression de pouvoir amener quelque chose d’intéressant dans le courant zouk. Donc, au début, je préférais dire que ce n’était pas trop prévu.

Mais, en 2014, j’ai eu l’opportunité de représenter la Guadeloupe dans un concours de chant caribéen. Il s’agissait du concours All for one qui se déroulait en Martinique. Là, je me suis dit que c’est peut-être le moment de venir avec du zouk. J’ai créé le morceau qui s’appelle Siziem kontinan qui est sorti quelques années après sur un de mes EPs. C’est un morceau que j’ai travaillé avec Willy Salzedo, un de nos grands compositeurs. Par la suite, j’ai encore écrit quelques morceaux d’inspiration zouk. Le dernier en date, An pa mélé, est sorti sur mon dernier album.

De manière générale, à travers tes chansons, quelles sont les thématiques qui te tiennent à cœur ?

Des messages d’amour, d’estime de soi. Ce sont des thèmes qui me tiennent à cœur parce que je suis en perpétuel questionnement dans ma propre vie. Je me remets beaucoup en question. J’ai aussi eu mes petits échecs et du coup il faut rebondir. Ce sont toujours mes réflexions à moi. Comment peut-on être meilleur ? À quel point avons-nous besoin de l’amour des gens pour avancer ? J’aime parler aussi des choses qui n’ont rien à voir avec ma vie personnelle. J’aime imaginer des histoires et j’écris en fonction de cela.

Peut-on dire que tu es une artiste engagée ?

Je suis engagée dans la mesure où je réponds présente quand on a besoin de moi pour soutenir des causes. J’ai eu l’occasion de répondre présente après les tragédies en Haïti en 2012, pour la cause de la femme. Je suis contente de pouvoir rendre la pareille en participant à de tels événements.

Dans mes textes aussi j’aime parler de la condition de la femme. J’aime aussi l’idée de l’égalité dans tous les sens du terme, de la liberté. Être engagé, je pense que c’est le propre de l’artiste. Nous sommes là pour émettre des idées et faire réfléchir les gens. Mais, il est aussi vrai que chacun se doit d’être acteur et de faire à son niveau ce qu’il peut pour que le monde aille mieux.

Tu as parlé d’amour et de liberté. Peut-on te définir comme étant avant tout spirituelle ?

Oui, parce que la spiritualité m’a construite. Je suis quelqu’un qui médite beaucoup dans tous les sens du terme. Un rien m’inspire. Tout ce que crée la nature m’inspire. Tout ce qui est invisible, le plus Haut, le plus Grand, ce qu’on ne peut même pas mesurer m’inspire aussi. Donc, c’est ma manière de vivre, de penser la vie, le rapport avec chaque être humain, notre raison d’être ici. Pour moi, il est même inconcevable qu’on puisse être artiste sans avoir une part de spiritualité.

Après ton 2ème album, tu as sorti plusieurs projets. Peux-tu nous en parler ?

Après Kréyòl seasoning, j’ai sorti Moon reflection en 2013. C’est un format très court de 3 morceaux. C’est un petit projet qui a été comme une petite respiration pour moi. Il m’a permis de créer sans enjeux, sans avoir quelque chose de particulier à mettre en avant, mais juste la pure expression de moi en tant qu’artiste.

Ensuite, il y a eu un vrai passage à vide à partir de 2013. La fatigue du milieu était très pesante, donc je me suis contentée d’être plus une artiste de la scène, de faire des chœurs pour les artistes et j’ai pu me repenser.

J’ai pu envisager de reprendre mes études. Il y a donc eu des petites créations de morceaux, des petits featurings. Mais entre 2013 et 2016, il y a eu ce grand vide. Du coup, les morceaux qui étaient finalisés j’ai décidé de les réunir et de faire Deeply rooted. Entre-temps, j’ai obtenu un prix des Eloi d’Or. Grâce à ce prix de soutien qui permettait de financer un projet, j’ai pu finaliser Deeply rooted en terme technique. J’ai pu faire des enregistrements en live avec des musiciens en studio. Il y avait Sonny Troupé, Ludovic Tinval, Eric Delblond, Willy Salzedo et Stéphanie Lombardo. J’ai aussi réintégré des morceaux qui étaient déjà édités : le morceau Tanbou pé ké janmé lwen avec Dominik Coco et le morceau Menm biten, menm bagay avec Chyco Siméon.

Après 2016, j’ai eu un 2ème passage à vide. J’en ai donc profité pour me consacrer aux études que j’avais entamées. Je suis arrivé à mon diplôme que j’ai obtenu en 2019 et j’ai effectué un changement de vie. J’ai un nouveau travail qui me permet de vivre décemment et de ne pas compter sur les pauvres revenus d’une artiste indépendante en Guadeloupe. Je conçois depuis la musique différemment. Elle n’est plus au premier plan. Je reprends la musique comme étant un hobby et c’est beaucoup mieux comme cela.

Tu as le sentiment d’être beaucoup plus libre pour créer ?

En fait, je ne pensais plus faire d’album. Mais, il y a eu la crise sanitaire et ce moment de calme forcé m’a obligé à reconsidérer ma vie artistique. J’ai eu du temps et de l’inspiration, avec de meilleurs moyens que les années précédentes et un réseau d’artistes avec qui je travaille. J’ai donc pu réaliser l’album Antidote qui est sorti il y a tout juste 6 mois.

C’est encore un album de liberté artistique, parce que je me suis écouté moi et ce que j’aime faire, ce que j’ai appris à faire. C’est aussi un cadeau pour tous ceux qui m’ont suivi depuis toutes ces années. Sur cet album, on retrouve à la fois des musiciens et des beatmakers. Tout a été beaucoup plus simple puisqu’Internet le permet désormais. Chez moi, j’ai réalisé les prises de voix et fait les assemblages des enregistrements réalisés par des musiciens. Tout le monde avait plus de temps de libre. Tout le monde avait envie de créer aussi. Donc, tout a été beaucoup plus simple qu’auparavant. Lorsqu’il a été à nouveau possible de sortir de chez soi, j’ai quand même été en studio avec des musiciens, notamment Ludgy Cherod à la guitare, Didier Juste à la percussion sur certains morceaux. J’ai travaillé avec des artistes que je connaissais, donc je savais déjà comment les choses se passeraient. Cela a permis de réaliser un album en un temps assez rapide. Et, ce n’est que du bonheur !

Pourquoi Antidote ?

Tout simplement par rapport à la période qu’on vivait, on cherchait de quoi panser les plaies. Certaines personnes étaient en deuil. D’autres avaient de grands questionnements, de grandes souffrances. J’étais moi-même dans beaucoup de questionnements sur ma propre vie. Donc, j’ai pensé au mot Antidote qui renvoie à ce qui va apaiser les souffrances, guérir, panser les plaies.

Les thématiques abordées dans cet album sont-elles aussi pensées pour apaiser, pour aider par rapport à la période difficile que l’on vit ?

Je les ai pensés comme cela. Cet album est fait pour faire réfléchir. J’y aborde des questionnements sur la société guadeloupéenne, sur l’amour, sur le fait de pouvoir rebondir dans sa vie. Mais, chaque texte peut être perçu différemment par chacun en fonction de ce qu’il vit. J’aime avoir cette écriture un peu abstraite qui permet à chacun de donner le sens qui lui convient au texte.

Beaucoup de gens m’ont envoyé des messages de remerciements en me disant que certains morceaux les ont touchés à ce moment précis. J’avoue que c’est un peu ce que je voulais. Je souhaitais que ce soit un album qu’on écoute quand on a besoin de paix, de réconfort. Ce n’est pas un album pour faire du wélélé. C’est un album pour se poser. Dans toute cette confusion ambiante qu’on a ces derniers temps, je pense qu’on a besoin de revenir au sol.

A-t-il pu être possible d’envisager des prestations pour la promotion de l’album ?

Je joue quasiment tous les mois dans des restau-bars. J’évolue comme cela depuis quelques années puisque ça garantit de bons petits concerts bien intimistes avec des musiciens et des chœurs de grands talents. Je joue maintenant avec Eric Deblond à la basse, Audrey Claudion au clavier et Jérôme Castry à la batterie.

J’espère pouvoir faire beaucoup de scènes, mais pas simplement pour la promotion de l’album, plutôt pour la promotion de tout ce que j’ai pu déjà faire depuis le début. Ceci dit, je suis consciente que là on ne peut pas beaucoup bouger. Mais, c’est sans stress. Je me dis que les choses prendront le temps qu’il faudra.

Quel sera ton mot de fin ?

Je dirais : aimez vos artistes indépendants ! Faites confiance aux gens qui décident de faire un peu autrement, qui ont des choses différentes à dire, des messages différents à faire passer et qui contribuent à faire mûrir des styles musicaux. Ils ne passent pas toujours en radio, mais les réseaux sociaux permettent aujourd’hui de découvrir ce qui se fait assez facilement.

Aussi, il est vrai que j’ai voulu mettre un pied dans la musique et je pense que j’ai réussi. Mais, c’est grâce au soutien des gens qui ont été curieux. Je souhaite donc vraiment leur dire merci.

Syanséka

Originaire de Guadeloupe, j’aime observer le réel et partager le fruit des lectures qu’il se plaît à m’offrir.

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