D’où nous vient cette AGREG de Créole ?

L’officialisation des langues créoles à l’école, en 2001, en Guadeloupe et en Martinique, est le résultat des luttes menées par les peuples issus de l’esclavage et de la colonisation du monde par l’Europe. Il n’y aurait pas eu de lutte pour le créole à l’école, qu’aujourd’hui, la majorité de ces nouvelles promotions d’Antillais qui campent dans les plus extrémistes des positions sur la question du créole n’auraient eu ni de matière à réflexion, ni de public local à qui s’adresser. Ce ne sont pas les ouvrages de recherche écrits en Europe sur le créole qui ont motivé les Antillais. C’est leur propre dynamique interne pour le créole qu’il convient d’explorer aujourd’hui. D’abord, dès la fin des années 50, la création de l’ACRA (Académie Créole des Antilles) fondée par des Guadeloupéens avec à leur tête Rémy Nainsouta, a marqué un premier pas dans ces luttes pour la reconnaissance de qui nous sommes.

Durant ces mêmes années, l’instituteur de l’éducation nationale Gérard Lauriette, alias Papa Yaya, a osé défier le système scolaire en créant une didactique originale, la première connue pour être issue de la Guadeloupe, en y intégrant le fait qu’on ne pouvait enseigner aux petits Guadeloupéens dans une langue qui n’était pas la leur. Il importe de noter la dose d’honnêteté qu’il a fallu à cet instituteur qui ne prônait pas le créole comme objet nationaliste, pour enseigner le créole, et en créole, tout en ne perdant pas de vue l’un des objectifs de l’école coloniale française aux Antilles, l’apprentissage du français. Pendant cette période-là, entre 1955 et 1976, il a fallu à Gérard Lauriette de puiser en lui toute la Foi qu’il avait en l’existence d’un peuple guadeloupéen, pour qu’il accepte d’être traité de fou et d’être renvoyé définitivement de l’éducation nationale. Il n’a pas pour autant baissé les bras. Il a formé sa propre école, puis sa propre structure de soutien, en 1976. C’est cette même année 1976, que quelques centaines de valeureux jeunes enseignants de l’époque fondent le SGEG (Syndicat Général de l’Éducation en Guadeloupe), premier syndicat d’enseignants issu de la dynamique guadeloupéenne. Beaucoup, pendant une certaine période, ont été victimes des pressions de l’éducation nationale et de la méfiance des parents d’élèves. Il a fallu travailler sur le terrain, pour démontrer aux parents la justesse des actions pédagogiques et didactiques préconisées dans le cadre du SGEG. Il a fallu s’appuyer sur certains psychologues scolaires guadeloupéens qui préconisaient une didactique d’apprentissage de la lecture tenant compte du milieu créolophone, et du contexte créole-français ; il a fallu également s’appuyer sur les linguistes membres du SGEG pour apprendre à observer les structures des langues en général, les confronter aux structures et systèmes du guadeloupéen et du martiniquais, et surtout, affronter les points de vue colonialistes de linguistes européens spécialistes des langues créoles. Quelques-uns de ces jeunes enseignants ont été renvoyés de l’éducation nationale française, l’un d’entre eux pour avoir enseigné les mathématiques en créole, lors de la visite de l’inspecteur dans sa classe. Dans les années 1980, l’expérience d’enseignement de la langue et de la culture créole au collège de Capesterre Belle-Eau dans un cadre relativement ennemi a beaucoup compté. La mise sur pied des ateliers pédagogiques du SGEG en histoire de la Guadeloupe et sur le créole, la création du GEREC en 1976, l’élaboration de graphies créoles phonético-phonologiques sont autant d’éléments historiquement importants. Au courant des années 1990, de multiples pétitions en provenance de la Martinique, notamment du GEREC, et de la Guadeloupe (Dany Bebel-Gisler ou Jocelyne Gersen) ont circulé dans le monde, notamment dans les universités américaines et caribéennes. L’objet de ces diverses pétitions était de faire pression sur les décisions gouvernementales. Depuis, 2001, des Guadeloupéens, des Martiniquais, des Guyanais et des Réunionnais, n’ont cessé de valoriser le CAPES de créole, en élevant le niveau pour qu’il soit aussi élevé, sinon plus élevé que celui des autres CAPES de France. Voilà, c’est dans le cadre de cet investissement scolaire et universitaire de centaines de Guadeloupéens, Guyanais, Martiniquais et Réunionnais, dans les postes où ils sont aux Antilles, que cette Agrégation de Créole, au sein de l’Agrégation des langues de France a été obtenue. Nous souhaitons longue vie à cette Agrégation, résultat de la lutte menée par les sociétés créolophones. Nous félicitons les lauréats au concours de cette première promotion. Tout comme l’a déjà fait le CAPES, nous souhaitons que cette filière AGREG soit une occasion de plus pour que nos sociétés élèvent leur niveau intellectuel.

 

Juliette Facthum-Sainton

Maître de Conférences honoraire, Université des Antilles.

Présidente de l’association Papal

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