Ces espaces qui parlent
Les langues, je crois, naissent d’un processus d’adaptation à un environnement géographique et/ou sociétal. Chacune reflète ainsi une perception du réel, une conception du monde, une culture, des connaissances relatives à un lieu spécifique. En cela, elles sont de véritables richesses pour tout un chacun, quoique chacune d’elles soit pratiquée par un nombre limité de personnes.
Les idiomes structurent différemment la pensée et offrent des perspectives variées qui se complètent. En cela, être plurilingue, c’est pouvoir naviguer entre plusieurs manières de concevoir, de dire, de conceptualiser. Les langues que nous maîtrisons déterminent ainsi la capacité que nous avons à nous exprimer et influencent nos compréhensions du monde.
Approfondir les connaissances que l’on a de sa ou de ses langue(s), c’est s’offrir la possibilité de cerner plus largement le réel et d’étendre sa façon d’appréhender celui-ci à partir de la ou des perspective(s) développée(s) par le groupe humain au sein duquel on grandit. De même, apprendre une langue c’est choisir d’élargir sa vision du monde en se familiarisant à un système de représentation. Être plurilingue, c’est donc aussi pouvoir s’ouvrir plus largement au monde grâce à une perception du réel étendue. Une découverte de nouveaux espaces se produit donc à un niveau conceptuel et peut aussi se manifester concrètement par le biais de voyages ou l’adoption de nouvelles pratiques culturelles. Et, tout cela contribue à façonner qui nous sommes.
Être en guerre contre des langues est une chose absurde qui traduit tout simplement les limites de la pensée de ceux qui s’inscrivent dans cette logique. Rejeter sa ou ses langues relève également d’un non-sens et reflète le rapport que l’on a à soi. L’harmonie du monde tant voulue par tous nécessite notamment un rapport aux langues qui implique la reconnaissance de chacune d’entre elles. Il est assez étonnant de voir que l’on parvient à mobiliser un grand nombre de personnes autour de thématiques variées, mais que, lorsqu’il s’agit des langues, la majorité tend à considérer que cela n’a pas réellement d’intérêt. Il est étrange que, même en contexte de domination, la politique d’éradication des langues – qui est en réalité un outil de dépossession, de déshumanisation et de destruction des peuples dominés – soit acceptée par ces derniers.
À quand le réveil pour une prise de conscience des richesses de l’humanité ? À quand le réveil pour une prise de conscience de tout ce qui traduit la puissance du potentiel humain ? À quand le réveil pour une prise de conscience de l’importance du respect de soi et du respect des autres ? La paix, l’harmonie que les Êtres humains désirent tant, ne peuvent découler que de cela. Autrement dit, il s’agit autant d’un rapport à soi que d’un rapport aux autres. Chacun, au quotidien, peut donc se mobiliser pour la construction d’un monde meilleur. L’espoir est précieux, mais il ne transforme pas la réalité. L’action, en revanche, peut générer le changement. Et, chacun possède cette capacité à définir son mode de pensée. Le reconnaître et le manifester, c’est choisir d’être LIBRE. Nous avons donc la possibilité de définir et d’œuvrer pour ce que nous pensons être le meilleur pour nous et pour les générations à venir. Nous pouvons donc tous être ACTEURS du monde dans lequel nous vivons.
Œuvrer pour soi en cherchant constamment à s’améliorer, c’est aussi œuvrer pour le monde. Contribuer à des changements positifs là où on vit, c’est aussi contribuer à des changements au niveau mondial. Tout cela a un impact qui dépasse les portes et les frontières. Pour revenir aux langues, accepter son plurilinguisme c’est choisir de vivre en paix avec soi-même et d’embrasser pleinement le champ élargi de conception de la réalité dont on dispose grâce à celles-ci. Comprendre l’importance de la diversité linguistique, c’est saisir que l’Unité se manifeste à travers le pluriel.
Nos langues font partie de nous. Elles sont une part de nous-mêmes. Cette capacité qu’elles ont à évoluer constamment témoigne du génie créateur infini des humains. À quand le réveil ? … je ne peux le savoir. Mais j’y crois donc j’agis, autant que possible, là où je suis, avec les moyens dont je dispose afin d’y contribuer. Cet article est une nouvelle graine semée, qui germera là où elle le pourra. Comme on dit souvent en Guadeloupe : « Sé grenn diri ka plen sak diri » (ce sont les grains de riz qui remplissent les sacs de riz), une expression qui renvoie justement à ce lien entre Unité et pluralité.
Très très bel article. Je me reconnais dedans. Et il me donne la force de continuer à dévorer ma langue maternelle qui est le créole.