Boris Reine-Adélaïde : le bèlè autrement
Originaire de Martinique, Boris Reine-Adélaïde est un percussionniste spécialiste du tambour bèlè. À l’âge de 8 ans, il a été séduit par les sonorités du tambour et a débuté son apprentissage des percussions. Aujourd’hui, il est un ambassadeur du bèlè et travaille à la création d’un style musical associant cette musique traditionnelle aux rythmes actuels. Nous vous proposons ici de découvrir son univers.
Comment as-tu débuté dans le milieu de la musique traditionnelle ?
Je suis né à Colombes en Hauts de Seine et à l’âge de 8 ans, je suis parti en Martinique avec ma famille. Et c’est là que finalement j’ai découvert la tradition martiniquaise : le bèlè.
J’ai été touché par le tambour lors d’une soirée bèlè. Et, un jour, j’ai dit à mes parents que je voulais apprendre à en jouer. Ils ont refusé et ils m’ont proposé de faire de la batterie d’abord parce que jouer le tambour à l’époque ce n’était pas forcément bien vu. Donc, ils m’ont inscrit à la batterie, mais ils m’ont tout de même acheté un petit tambour à côté parce qu’ils ont vu que je m’intéressais vraiment à cet instrument.
J’ai pu apprendre le tambour bèlè avec différentes associations en Martinique telles que l’AM4, l’IFAS. Jean-Baptiste Etienne a été mon premier professeur à l’époque. Avec eux, j’ai appris les bases du tambour bèlè c’est-à-dire chaque rythme et aussi savoir danser. On dit qu’il faut savoir danser pour bien jouer au tambour bèlè afin de comprendre qui on fait danser, quel mouvement qui va bien avec la danse, etc.
En parallèle, j’ai aussi travaillé le djembé, le chouval bwa et le gwoka en Martinique parce que j’étais intéressé par les percussions en général pas simplement par le tambour bèlè.
Comment a-t-il été possible que tu puisses t’ouvrir à ces autres percussions ?
À l’époque, j’ai rencontré un groupe qui s’appelait Balatana qui jouait souvent à la rue piétonne. Il jouait du gwoka à Fort-de-France. J’y allais et j’ai pu me former en live, apprendre les rythmes. Là, j’ai aussi pu rencontrer un maître djembé. J’ai pris des cours avec lui. Par la suite, j’ai pu aller en Guadeloupe me former au gwoka, apprendre les rythmes, les reprises et tous les codes à l’école de Bébé Rospart.
Il y a quand même des différences entre ces percussions. Comment as-tu réussi à créer un pont entre elles afin de créer ton propre style ?
Au début, je ne faisais pas d’association. Quand je jouais du bèlè, ce n’était que du bèlè. Quand je jouais du gwoka, ce n’était que du gwoka. Ensuite, je suis parti faire mes études en France. Et là, j’ai eu plein d’autres influences en fait.
Je me suis formé avec Thomas Guei qui est un grand maître ivoirien. Lui, il jouait hyper rapidement au djembé. Je me suis dit que pour pouvoir communiquer avec lui avec mon tambour bèlè, ce serait bien que j’arrive à faire des phrases rapides. Et c’est là que j’ai commencé à accélérer mon jeu.
J’ai travaillé avec un pianiste qui s’appelle Hervé Celcal, un guitariste qui s’appelle Manuel Mondésir qui m’ont tous les 2 permis de travailler le côté harmonie, c’est-à-dire jouer le tambour avec des instruments mélodiques et harmoniques. Là, il y a eu cette prise de conscience que le tambour que je joue peut se marier en apportant des notes précises et des gammes. Après tout cela, j’ai aussi travaillé avec des Cubains et ça m’a inspiré sur toutes les figures rythmiques.
C’est tout ça que j’ai mis sur le tambour bèlè.
Tu as été accompagné du tambour durant toute ta jeunesse. Qu’est-ce que cela t’a apporté, en tant que martiniquais, de toucher aux percussions dès un très jeune âge ?
Je me suis rendu compte qu’être martiniquais c’est aussi assumer cette diversité musicale et ancestrale que nous avons.
Toucher à toutes ces percussions m’a montré qu’en fait dans mon sang il n’y a pas que le tambour bèlè finalement parce que dans le tambour bèlè il y a plein de percussions qui s’expriment. Travailler d’autres percussions m’aide à comprendre le tambour bèlè et à trouver mon identité de Martiniquais qui peut jouer de plusieurs musiques parce que dans son sang, dans sa culture aussi, il y a vraiment un mélange de musiques. Donc, ça m’a permis de mieux me connaître.
Quand tu dis que dans le tambour bèlè on retrouve d’autres percussions, qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Dans le tambour bèlè, par exemple, on retrouve typiquement la technique des tablas. Les tablas qui se jouent avec la main gauche, une espèce de woulé dwèt. Donc concrètement on ne peut pas nier que dans le tambour bèlè il y a eu une influence ou juste quelqu’un qui aurait vu une technique comme ça qui peut aujourd’hui se retrouver dans notre musique traditionnelle.
Ensuite au niveau des patterns rythmiques, il y a beaucoup de 6/8 qui sont des rythmes qui sont issus d’Afrique de l’Ouest. C’est le cas du gran bèlè par exemple. Quand j’ai eu la chance d’aller en Côte d’Ivoire et de montrer les rythmes qu’on avait, ils m’ont dit qu’ils ont le même rythme sauf qu’eux placent le temps fort différemment.
Donc il n’est pas possible de dire que parce que tu as touché à d’autres styles ton jeu bèlè s’est dénaturé, au contraire il s’est approfondi ?
Exactement. J’ai pu comprendre quelles sont les possibles influences qui font qu’aujourd’hui on joue comme ça.
Dirais-tu que pour être un bon joueur de bèlè, il faut aussi toucher à d’autres percussions ?
Non, tout dépend de ce que l’on veut faire. Moi, j’ai toujours eu l’objectif d’être musicien professionnel et de pouvoir jouer à n’importe quels endroits, de pouvoir m’adapter sans problème en jouant avec n’importe quels autres musiciens. C’est donc le travail que j’ai essayé de faire. J’ai essayé d’être ouvert un maximum aux autres genres qui existent, c’est-à-dire de pouvoir les écouter et au moins les comprendre pour ensuite pouvoir jouer sur ces différents styles.
Mais, on peut très bien être un très bon joueur de bèlè et ne faire que du bèlè, n’avoir pratiquement aucune influence extérieure parce que c’est un tambour qui est déjà très riche tout seul.
En Martinique, beaucoup de jeunes joueurs de bèlè jouent aussi du gwoka et pour beaucoup ça pose problème parce qu’ils considèrent qu’il y aurait un risque de disparition de la tradition martiniquaise. Que dirais-tu à ce propos ?
Je ne pense pas que le problème soit le gwoka. Si tu sais qui tu es en tant que Martiniquais pourquoi devrais-tu avoir peur des autres musiques ? Il faut juste être conscient qu’en tant que Martiniquais, on doit d’abord commencer par le tambour bèlè et après on peut faire toutes les percussions qu’on veut.
Tes expériences humaines en allant sur différents territoires ont-elles aussi enrichi ton jeu et ta façon de percevoir les percussions ?
J’ai rencontré pas mal de percussionnistes à l’étranger notamment en Angola, au Cap Vert, au Cameroun… En fait, chacun a sa vision de la percussion dans le sens où chacun vit la percussion d’une certaine manière. Pour certains, la percussion est tellement sacrée que chaque coup que l’on donne est une énergie que l’on a lâchée. Pour d’autres personnes, la percussion est tellement forte que nous sommes les instruments pour donner de l’amour et de l’énergie aux gens.
En fait, en discutant avec les personnes que je rencontre lors de mes voyages, elles me montrent leur approche. Certaines me disent qu’elles ne peuvent pas vivre un jour sans jouer au tambour. Certaines me disent qu’elles arrivent à faire passer des émotions d’amour à travers le tambour. Certaines me disent qu’elles arrivent à communiquer très loin avec le tambour. Aller à la rencontre des gens me permet aujourd’hui d’avoir toutes ces informations.
Très souvent aux Antilles, dans le monde de la musique traditionnelle certains considèrent qu’on a su préserver le tambour, mais pas tout le langage qui avait avec et ce qui est souvent mis en avant particulièrement c’est la spiritualité. Toi, par rapport à ces expériences que tu as eues à l’extérieur, qu’en penses-tu ?
Par rapport à notre histoire, je pense qu’en effet il n’était pas évident de garder tout ce qu’il y a eu avant. Et puis, il y a eu un gros lavage de cerveau. On a dit à nos populations par exemple que nous ne sommes pas africains, nous sommes français et même pas martiniquais ou guadeloupéens. Par rapport à cela il y a des conséquences et des oublis. Il y a un gros travail à faire pour que nous prenions conscience que nous sommes des héritiers de cultures africaines. Avec ça, on pourra peut-être retrouver le maximum de codes possibles et le maximum d’éléments.
À mon avis, ce qui manque le plus c’est la conscience générale. Lorsqu’un maximum de personnes s’intéressera au tambour et sera fier de cet héritage, les choses changeront. C’est avec la masse que la culture grandit.
Tu es maintenant musicien professionnel. Comment as-tu fait pour concrétiser ce rêve d’enfance ?
Je me suis fait, à chaque fois, remarquer par rapport au tambour bèlè. Manuel Mondésir, un ami d’enfance, est monté sur Paris pour faire un groupe. Il m’a fait appeler pour faire du tambour bèlè. J’ai aussi rencontré Edmond Mondésir, son père et nous avons travaillé ensemble. Suite à cela, je me suis fait remarquer par Franz Laurac qui est un pianiste. À ce concert, je me suis fait repérer par Hervé Celcal qui m’a invité sur un album.
Après, il est aussi vrai que je me suis diversifié avec les congas qui est l’instrument du percussionniste de base sur toutes les scènes. Pour faire de la salsa, de la pop, du hip hop, de l’afrobeat, du reggae, etc., il faut jouer des congas en fait. J’ai très vite compris cela et j’ai travaillé les congas. Grâce à cela, j’ai pu commencer à faire quelques scènes avec Tony Chasseur, Dédé Saint-Prix, Thierry Vaton. Puis, j’ai été contacté pour jouer avec Kassav’. Ça a été une superbe expérience. J’ai pu là encore développer des capacités nouvelles. Au début, j’ai été appelé pour un remplacement et finalement j’ai fait plusieurs dates avec le groupe. J’ai aussi tourné avec Charlotte Dipanda qui m’a remarqué par rapport à Kassav’. J’ai tourné aussi avec le bal de l’Afrique enchantée. Tout cela c’est grâce aux congas. Mais ma particularité c’est que j’essayais toujours d’intégrer des solos ou des patterns de bèlè ou de gwoka dans mes jeux pour essayer de faire une différence par rapport aux autres joueurs. Et je pense que c’est ce qui m’a permis de faire plusieurs dates avec Kassav’.
Pour un artiste antillais, jouer avec Kassav’ c’est la consécration. Pourquoi n’es-tu plus avec le groupe ?
J’ai beaucoup tourné avec eux. Après, moi j’ai toujours voulu faire mon album solo. Il m’a fallu faire un choix entre le temps qu’il va falloir pour cet album et toutes ces tournées.
Quand j’ai quitté Kassav’, j’ai fait un premier album qui s’appelait Mbokaraïb. Puis, après j’ai continué à sortir des singles. J’ai sorti un projet qui s’appelait Lil’ tambor. C’est une musique trap sur laquelle j’ai mis le tambour bèlè comme s’il était en train de rapper. Ensuite, j’ai fait la même chose en invitant plusieurs percussionnistes. C’était le Lil’ tambor remix. Donc j’ai sorti le Drum team avec 6 percussionnistes. On a tous improvisé, on a fait un thème commun.
Suite à cela, j’ai reçu pas mal de demandes du Pérou, d’Uruguay, de France, etc. Des percussionnistes me disaient qu’ils aimeraient bien participer sur mon prochain morceau. Et, c’est comme cela que j’ai eu l’idée du drum team challenge en proposant la bande son en permettant à tout le monde de s’exprimer dessus. C’est quelque chose effectivement qui a bien tourné. Il y a eu une centaine de participants sur une vingtaine de pays. Des pros, des amateurs, des écoles de musique, des chanteurs ont posé dessus.
Tu as réussi à créer une certaine émulation autour de la musique traditionnelle. C’est assez inédit. Comment perçois-tu cela ?
La magie que je trouvais, c’est que tout le monde pouvait jouer sur le même morceau en fait. Mais tu joues avec ta couleur parce que tu joues avec ton instrument, ton identité. Il y a eu des Iraniens, des Cubains, des Jamaïcains, etc. sur cette même bande son qui était un peu afro avec une guitare compas et une rythmique bèlè.
Au niveau de tes compositions, pour le 1er album tu as choisi de travailler avec des musiciens et pour le 2nd tu as choisi d’être beatmaker. Peux-tu parler de cette nouvelle approche ?
Absolument. Sur le premier album, j’ai fait appel à 4 musiciens : guitare basse, batteur, guitariste, moi percussionniste et aussi un chanteur. Sur le deuxième album Twa kat, j’étais plus en mode beatmaker pour travailler le côté électronique en mode production 3 temps.
La tradition a toujours été ma passion. Mais, je suis quand même né en 1988 donc il y a des influences de musiques que j’aime écouter comme la trap, l’afrobeat. Je me suis dit pourquoi ne pas mélanger ce que j’aime avec ce que je suis. Je suis Martiniquais, j’aime la musique afrobeat maintenant je vais essayer de faire une musique afrobeat martiniquaise en 3 temps. J’aime la trap, j’aime le reggae, je vais faire tout ça en 3 temps.
Je propose une musique 100% martiniquaise et électronique parce qu’aujourd’hui il y a des outils que l’on a alors pourquoi ne pas utiliser tout cela et mettre des accents bèlè avec des temps forts et des codes bèlè.
Comment cela a-t-il été perçu par le monde du bèlè en Martinique ?
On m’a dit qu’il fallait y penser. Je n’ai pas eu de critiques particulières.
Les artistes des musiques urbaines ont bien accueilli ton travail et certains ont même posé dessus. Peut-on déjà dire qu’il y a l’émergence d’un nouveau style dans notre paysage musical ?
Je propose une interprétation musicale, c’est une proposition et je suis déjà très satisfait que d’autres artistes comprennent ce que je veux faire et l’acceptent. Pourquoi ne pas être copié ? J’aimerais bien qu’il y ait un mouvement, que je ne sois pas le seul à faire cela.
Cette proposition musicale que tu fais, comment l’appellerais-tu ?
J’avoue ne pas y avoir pensé. Mais je dirais twa kat comme l’album.
Il y a quelques années, il y a eu l’album Bèlè Boum bap. L’artiste Boogie Flaha fait un travail associant bèlè et hip hop. Il y a aussi eu le travail d’Xtrem Jam associant tradition et musiques actuelles. S’il fallait faire une comparaison entre ces styles, la différence serait à quel niveau ?
C’est une continuité en fait. Aujourd’hui, simplement je le fais avec des outils que j’ai. Les bandes de sons sont différentes parce que tout évolue.
Boogie Flaha a posé avec Benejah sur le son Lil’ tambor donc j’ai pu travailler avec lui. Ils ont fait du bon travail et c’est très bien. Du coup, je continue.
Peut-on dire maintenant qu’avec toutes ces expériences, le bèlè est en train de prendre un nouvel essor et de s’imposer ?
Absolument. Il devient de plus en plus connu. Chez nous, je pense que les gens l’apprécieront aussi de plus en plus et ils vont en être fiers.
Quels sont tes projets à venir ?
Là, je suis en train de me reposer un peu avec la quarantaine. Je fais une petite pause pour préparer un 3ème album afin de pouvoir être bien inspiré de nouveau et je participe à des lives qui sont enregistrés en ligne pour des festivals.